La Loire, dernier fleuve sauvage d'Europe ?
En aout 2014, dans le cadre du cycle de l’Atelier citoyen consacré à l’eau, une vingtaine d’adhérents ont effectué sur deux jours une descente de Loire en canoé. L’occasion de découvrir, au travers d’une expérience concrète, la vie d’un fleuve auquel nous sommes très attachés, chacun à sa manière.
La première halte instructive s’était tenue sur un banc de sable au pied de la centrale nucléaire de Chinon-Avoine : un membre de Sortir du Nucléaire 37 était venu pour une mini conférence improvisée sur les impacts de l’usine sur la Loire.
Où l’on apprenait que, contrairement à l’idée commune, une telle centrale ne fait pas que pomper et relâcher de l’eau un peu plus chaude en sortie.
- Effectivement, elle réchauffe, ce qui impacte les équilibres biologiques du milieu aquatique, surtout l’été
- Elle prélève : chaque seconde, chacun des quatre réacteurs pompe environ 3 m3, dont seuls deux sont rejetés dans le fleuve, un tiers partant en vapeur (le fameux panache). Cela fait de l’industrie nucléaire le premier consommateur d’eau en France ; chaque kWh produit nécessite 56 litres d'eau. En cas d’été sec, danger pour le fleuve et danger pour la centrale!
- De ses tours réfrigérantes s’échappent des légionnelles qui contaminent les alentours. Chinon est une de celles qui en produit le plus, du fait que les tours sont surbaissées pour des raisons paysagères. Et si les légionnelles sont traitées au chlore, c’est des chloramines qui retombent en pluie, entre autre, sur les vignobles du Chinonais …
- Les eaux de lavages des équipements sont relarguées, jouant sur le principe de dilution et sur l’innocuité supposée des faibles doses radioactives. Même chose pour la vidange des piscines de réacteurs lors des arrêts de tranche programmés.
- De nombreux produits chimiques et radioactifs sont rejetés par une tuyauterie percée qui s’avance dans le courant : soude, acide chlorhydrique, sodium, chlore, acide borique, détergents, ammoniaque, tritium, carbone 14, iode 131 et 134, césium 137 et 134, cobalt, manganèse, argent, nickel, etc
Une chose dont notre conférencier de plein air ne nous avait pas parlé, c’est de plutonium. Il ne nous en avait pas parlé parce que ce n’est pas possible. Retrouver une des matières les plus toxiques au monde dans une eau qui sert à la boisson de centaines de milliers de personnes, c’est juste garanti par les nucléaristes comme ne pouvant pas exister.
C’est impossible tant qu’on n’a pas prouvé que c’est possible.
Aujourd’hui la preuve est faite.
L'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) vient de publier les résultats de carottages effectués à Montjean sur Loire dans des sédiments de crues permettant de remonter jusqu’au milieu du 20ème siècle. Ces résultats mettent en évidence, en plus du bruit de fonds des retombées issues des essais atomiques (!!), deux pics de plutonium, l’un en 1969, l’autre en 1980.
D’où vient ce plutonium ? Dans les deux cas, de la centrale de Saint Laurent des Eaux, à 250 km en amont de Montjean ! Dans les deux cas, la cause est… un début de fusion du cœur d’un réacteur. L’accident de 1980, largement sous-estimé à l’époque, se classe parmi les 10 plus graves au monde. L’infaillible colosse nucléaire français est passé tout près de la catastrophe, en toute discrétion.
Mais que faire de ces dizaines de kilos de déchets hautement radioactifs ? La priorité étant de ne pas ébranler la benoîte confiance de la population, une évacuation en Loire a été choisie : solution discrète et, qui plus est, économique.
Un adhérent de l’Atelier témoigne qu’à cette époque, des étudiants ont été recrutés comme liquidateurs. Beaucoup de liquidateurs car la mission était de courte durée : la dose d’irradiation maximale était atteinte en quelques minutes.
C’est un reportage de Canal+, au printemps 2015, qui a fait resurgir ce scandale, conduisant l’ancien patron d’EDF à se contredire pour finir par avouer face caméra (l’extrait vidéo de 15 mn, longtemps sur Youtube, n’est plus en ligne à la date du 20 avril 2016 ! La version complète est encore visible à cette adresse http://www.sortirdunucleaire.org/C-est-bien-arrive-du-plutonium-dans-la-Loire , l’accident de mars 1980 est expliqué à partir de la 14ème minute).
A la suite de quoi, à l’été 2015, une étude de terrain a été conduite sur 1 mètre de sédiments par carottage http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20160317_rejets-anciens-plutonium-Loire-resultats-expertise-sediments.aspx#.Vuu8LeZkFaU .
Le rapport est sans appel quant à l’origine industrielle des pics de contamination observés.
Est-ce dangereux ?
Le plutonium (produit par l'activité humaine à 99,..%), est l’une des substances les plus toxiques au monde.
Comme tous les corps radio actifs, il émet des rayons ionisants qui peuvent endommager des cellules vivantes, notamment lors de leurs divisions, et créer des débuts de cancer.
La radio toxicité varie suivant les isotopes (les « variétés ») du plutonium : l’isotope 239, majoritairement présent en sortie de centrales, émet des rayons alpha, très impactants, mais moins « traversants » que les rayons béta émis par le plutonium 241 (présent lui aussi mais en moindre quantité). L’isotope 239 est produit en grande quantité - plusieurs centaines de kg par réacteur et par an - et reste radioactif pendent des dizaines de milliers d’années.
La radio toxicité dépend aussi du mode de contamination :
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Une particule de plutonium 239 (irradiation alpha) ingérée via l’eau de boisson ou les aliments pourra, avec un peu de chance, être excrétée via urine ou fèces. Mais nous ne sommes pas tous égaux en matière de qualité de la barrière biologique : si elle passe dans le sang, elle ira se fixer dans un quelconque tissus – os, foie, cerveau, gonades, etc. – et va ioniser les environs immédiats, en perdant progressivement son agressivité, à raison de -50% tous les… 24000 ans. C’est un peu une triple loterie inversée, où les risques de perdre dépendent des facteurs «1- j’en ai ingéré ou pas », « 2- c’était du 239Pu ou du 241Pu » ; « 3- j’ai une bonne barrière sanguine ou pas ».
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En revanche si la particule est inhalée, les termes de la loterie sont très différents : « A tous les coups l’on perd ». Logé dans une alvéole pulmonaire, 1 microgramme de 239Pu entraîne systématiquement un cancer du poumon. Sachant que la densité du plutonium est quasiment de 20, un microgramme ce n’est pas gros, sans doute invisible à l’œil nu. Certes, il y a peu de chance d’inhaler celui qui est en Loire ! Par contre, le petit neveu qui est pompier volontaire et qui un jour devra peut-être intervenir sur l’incendie d’un camion transportant des matières radioactives ? Du fait du secret qui entoure les 90.000 transports annuels, sera-t-il en mesure d’assurer sa propre sécurité ?
Qu’en est-il de la dangerosité actuelle du plutonium réparti dans tout le cours du fleuve, sans doute jusqu’à l’estuaire, notamment dans l’eau pompée pour l’usage domestique ? Très difficile voire impossible à estimer. Sans parler de l’atteinte environnementale à un fleuve - patrimoine mondial de l’Humanité - souillé à jamais.
Qu’en a-t-il été de la contamination des populations entre 1980 et 1984 pendant les 5 années de relargage ? Il semble évident que l’eau de boisson, les poissons pêchés en Loire, ont dû contenir des concentrations plus fortes. Désinvolture, mensonge par omission et, au bout du compte, mise en danger des Ligériens ?
Sur ce dernier point, la CRIIRAD - Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité –demande un bilan de l’exposition des riverains et des travailleurs.
http://www.criirad.org/installations-nucl/st-laurent-des-eaux/CP_2016-03-25_St%20Laurent.pdf
Cette contamination est emblématique à plusieurs titres :
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Elle montre clairement que la santé, la sécurité des habitants est une préoccupation secondaire de l’industrie nucléaire quand il faut faire des choix de gestion de crise.
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Elle fait la démonstration de la capacité du lobby nucléaire à mettre sous influence l’ensemble des centres de décisions démocratiques, du haut en bas de l’échelle. 35 ans avant de pouvoir apporter la preuve !
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Elle montre aussi que des moyens de lutte efficaces – lanceurs d’alerte, journalistes d’investigation, scientifiques indépendants – existent et doivent être soutenus.
N’est-il pas temps pour nous aussi, simples citoyens, d’agir contre ce fatalisme nucléaire, de « porter le fer » là où ça fait mal, dans les contradictions, le déni, les comportements d’autruches qui prédominent encore chez les personnes qui soutiennent cette énergie ?
N'est-il pas temps d'exercer auprès des décideurs un lobbying guidé par le souci des générations futures, pour contrecarrer le pouvoir d’influence néfaste d’une industrie qui nous ment depuis 50 ans et qui nous endette écologiquement pour 50.000 ans ?
La Loire, dernier fleuve sauvage, vous ne la regarderez plus jamais comme avant.
Jean-Yves Busson
22 avril 2016